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Image : La Mer, Ange Leccia, installation vidéo, 1991

06.04.2025  03.04.2025 

Vernissage jeudi 6 février 2025 à 18h

Mer

Le 33,  rue Saint-Jacques, 13006 Marseille

Ange Leccia, Alain Goetschy

En 1991, Ange Leccia filme sur le rivage de Nonza le flux et reflux des vagues. Inlassable, ce mouvement devient la matière d’une installation hypnotique. La verticalité de son cadrage bouleverse la perception traditionnelle de l’élément marin et libère l’image de son point de fuite horizontal.

 

Dans ce récit, sans commencement ni fin, Alain Goetschy fixe l’onde, en saisit la surface et préserve en elle tout ce qui bouge. À partir de ses impressions, le sculpteur affine ce qu’il restitue de la texture des mers. La perception définitive de ce plan mouvant se trouve ainsi figée dans une sorte d’éternité matérielle.

 

Dans cet agencement la pensée de Paul Ricoeur est convoquée : la préfiguration comme expérience vécue de chacun, la configuration pouvant être proposée par le montage et enfin la refiguration pouvant se situer tant dans l’expérience perceptive des œuvres physiques que dans la recomposition de nos affects après cette déambulation. L’exposition invite à une dérive, un déplacement où le corps se laisse emporter par le ressac des images et des formes.

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Image : 44°34’34.12, Alain Goetschy, bronze

—— à propos de l'œuvre d'Ange Leccia, texte de Fabien Danesi, Directeur du Frac Corsica

MER

 

C’est un motif naturel, simple, épuré : la mer méditerranée. Mais
il ne s’agit pas pour autant d’un paysage. À la faveur du basculement de la caméra à 90 degrés lors de l’enregistrement, le rivage ne s’observe plus dans sa relation privilégiée avec la ligne d’horizon. Il s’élève de manière inlassable, insistant sur la verticalité de la prise de vue. Ce renversement met en valeur la planéité de l’image. Manière de libérer le spectateur du point de vue centré qui caractérisait la perspective albertienne. Il est ici face à une représentation quasi abstraite, un mouvement plastique, une matière. Il n’est plus assigné à une position unique : si le spectateur perd ses repères, c’est pour mieux réduire la distance et se réapproprier l’espace vidéo. La mer est déterritorialisée. Elle pourrait avoir été filmée sous d’autres latitudes que celles de la Corse. Peu importe. Car elle s’ouvre avant tout à un imaginaire. En dehors de tout ancrage géographique, de toute pesanteur.

 

L’écume dessine des formes qui se transforment sous l’emprise du ressac. Le balancement régulier de la mer agit comme un palimpseste. Les figures écrites par la mousse blanche apparaissent et s’effacent, presque dans le même instant. Elles ne sont que la mesure du temps. Sans début, ni fin, la boucle vidéo intervient sur un rythme hypnotique, celui où la répétition et le changement se fondent en un seul élément. Mer devient une machine d’enregistrement, un sismographe organique, qui rend compte des variations infimes de la nature. Elle cherche à épuiser l’image qui se régénère dans son roulis incessant. De fait, Mer est de l’ordre de l’onde : un va-et-vient, une oscillation. Elle entretient une véritable complicité avec l’énergie qui parcourt le monde. Allégorie de la vie, le flux marin renvoie aux battements lumineux visibles dans de nombreuses œuvres d’Ange Leccia. Ce flux silencieux met au diapason le cours de l’existence et la pulsation de la nature. Il est un pouls qui ne s’entend pas mais s’observe. 

 

Pour autant, le son n’est pas complètement absent. Il est plutôt en réserve. Et s’inscrit à même la rétine du spectateur sur un mode virtuel. Mer appelle en effet l’ensemble des sens, et non uniquement l’œil. Car la contempler serait la réduire à un motif décoratif. Il faut au contraire la toucher avec la pupille dans une perspective haptique. Cette dimension est propre aux substances pourvues d’une aura, « apparition d’un lointain – si proche soit-il », pour citer la phrase canonique du philosophe Walter Benjamin. Ce n’est donc qu’à cette condition que Mer s’anime pleinement. Pour se métamorphoser aux yeux du spectateur en une enveloppe, un magnifique tégument.

 

Fabien Danesi

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