image : Pierre Quintrand
18.11.2022 — 26.01.2023
We all scream
Le 33, rue Saint-Jacques, 13006 Marseille
Charlie Warde
Après la guerre, le bunker est devenu synonyme de constructions en béton. Cette dénomination péjorative révélait alors autant un traumatisme qu’un jugement esthétique. La reconstruction des villes détruites et les programmes d’élévation des nouveaux quartiers prioritaires obéissaient à des impératifs économiques et aux évolutions modernistes de l’architecture. Les réactions ont été contrastées et les polémiques, qui mériteraient d’être analysées sociologiquement, étaient nombreuses. Certains architectes, comme Claude Parent avec Sainte Bernadette de Nevers, ont joué de cette proximité formelle au point de renverser le regard pour de nouvelles générations. L’urbanisme est autant pour Charlie Warde une grille de lecture qu’un terrain de jeu. La réversibilité du regard sur certains quartiers instaure dans son travail une tension encore exacerbée par les problématiques de la gentrification, qu’il s’agisse de Londres où l’artiste a longtemps vécu ou travaillé, ou de Marseille, où il s’est récemment installé. Dans son exposition We all scream, il poursuit son travail de la peinture objet, une peinture hyperréaliste qui reproduit le grain d’un caillou pris dans le ciment jusque dans son volume. Ses formes sont alors définies très précisément par des normes architecturales : le format d’une brique ou d’un pavé, ou encore les dimensions d’une fenêtre d’évacuation. L’artiste qui aime à introduire une dimension narrative dans ses accrochages, ici par son titre qui fait référence au film Down by Law de Jim Jarmush, joue avec les rapports de force et les effets d’attirance et de répulsion de l’espace urbain. Charlie Warde associe la peinture aux objets qu’il prélève, comme des douilles, pour les déplacer, les rendre aimables comme un cornet de glace pas encore entamé. Cette transposition suit d’autres exemples dans l’espace urbain : la Grande Bretagne avait employé des sommiers de lits militaires pour construire de nouvelles grilles ; en France, des douilles avaient été utilisées de manière décorative et mémorielle. L’enjeu reste le même dans un urbanisme qui se pense en des termes militaires, et qui investit et parfois fracture les villes en territoires. L’artiste nous propose de voir ce que le béton a de friable et comment, selon des techniques japonaises comme le kintsugi, il peut dépasser ces blessures, du moins matérielles.
Texte : Henri Guette