Image : Kircher Athanasius, Mundus subterraneus - © BnF
21.11.2024 — 31.01.2025
Vernissage jeudi 21 novembre 2024 à 18h
Les Terres Creuses
Le 33, rue Saint-Jacques, 13006 Marseille
Valentin Vert
Les Terres Creuses puise dans l’anthologie du même nom qui rassemble plus de deux-milles explorations spéléologiques supposées. L’ouvrage retrace les recherches pseudo-scientifiques des profondeurs du globe, les fictions qu’elles nourrissent et leurs répercussions sur le présent. On y apprend que la Terre, jadis planète enflammée, désormais soleil refroidi, ne serait qu’un énorme caillou évidé par le milieu. Nous n’en connaissons que sa croûte calcinée qui se fendille.
Avec l’ère industrielle débutent les conquêtes verticales : cosmos, abysses, sous-sols, psyché. Aux confins, c’est confus. On fouille pour remuer et extraire des indices, de l’énergie, ou de la poussière de savoir. Tout ce qui se dérobe à nous serait à chercher dans ses entrailles, mais l’envie de s’y rendre révèle déjà ce qui s’y trouve.
Vers le soleil du milieu, nous dévalons des chemins ouverts par les volcans. À mesure de la descente, se succèdent les strates géologiques, pareilles aux couches d’une illusion commune que l’on se risque à exhumer ou visiter.
Laura voyage dans le cristal2,
Axel au centre de la Terre3,
Elis dans les mines de Falun4,
et Klim dans le monde souterrain5
Sonder l’en-dessous, par-delà les brèches rocheuses, c’est aussi fouiller en nous, combler les lacunes de nos souvenirs. Voici donc les dérives d’une même histoire, un voyage initiatique où les pensées se cognent au sol qui les engloutit.
Pour sa première exposition personnelle Les Terres Creuses, Valentin Vert sonde les ressources narratives et spéculatives du sous-sol en s’imprégnant de ces éco-fictions. Aux limites du design contemporain, l’artiste poursuit ses enquêtes autour des techno-sciences et des savoirs désappris. Il s’essaie à dépasser le connu sans pour autant abandonner la logique.
Son travail met en tension la production standardisée et l’artisanat ornemental. Formellement, on y devine des lampes à carbure ou des engins autonomes aux allures high-tech. Leur fonction nous plonge dans le doute. L’esthétique froide, sans aucune irrégularité, de ces prototypes lumineux, refroidissants ou ventilants nous gardent à distance de leur réelle utilité. De ces ambiguïtés jaillissent des hantises. Plutôt que de proposer des réponses irréfutables, Valentin Vert stratigraphie des énigmes. L’exposition en épaissit les mystères à travers une mise en scène minimaliste et aseptisée. La présence humaine a disparu mais les traces de ses vaines entreprises demeurent.
Nous voilà convié·es dans un laboratoire abandonné où tout semble pourtant neuf, sans fissure, ni poussière. Au mur, un diptyque en résine cartographie des phénomènes irrationnels du dessous : réserves de feu ou nuages liquides. Les matériaux nous rappellent la variété des textures qui tapissent les cavités : le plexiglass devient quartz hyalin et le bitume granit éruptif. Au centre de l’espace, une machine verticale, comme une foreuse, tournoie lentement. Elle ne creuse pas mais condense l’eau dans l’air. Tout un cycle est configuré, la matière traverse chaque état, gazeux, liquide puis solide, pour générer de nouvelles ressources. Le combustible, désormais refroidi, est collecté dans des fioles. Il ne perd jamais tout à fait son imprévisibilité.
Valentin Vert refuse les certitudes pour ouvrir un dialogue entre ce qui a été et ce qui aurait pu être. Ainsi exploite-t-il le principe de l’uchronie6 qui désigne un non-temps, un temps qui n’existe pas. L’exposition incarne alors des possibles vraisemblants : la Terre est creuse et, dans son antre, se cache les limites de nos désirs d’accélération.
Alexia Abed
critique et commissaire indépendante
1 Joseph Altairac, Guy Costes, Les terres creuses : bibliographie géo-anthropologique commentée des mondes souterrains imaginaires et des récits spéléologiques conjecturaux, Amiens, éd. Encrage, coll. “Interface”, 2006.
2 Georges Sand, Laura, voyage dans le cristal, dans Revue des deux Mondes, Paris, janvier 1864.
3 Jules Verne, Voyage au centre de la Terre, éd. J. Hetzel, Paris, 1864.
4 Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, “Die Bergwerke zu Falun”, dans Die Serapionsbrüder, Berlin, éd. Georg Reimer, 1819.
5 Ludvig Holberg, Voyage de Nicolas Klimius dans le monde souterrain, trad. du latin par Mr. De Mauvillon, Copenhague, éd. Frid Chretien Pelt, 1753.
6 Charles Bernard Renouvier, Uchronie – L’utopie dans l’histoire, Paris, éd. La critique philosophique , 1876.
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